PREAMBULE
- Nous, Archevêque et Évêques de l’ASSEPB, réunis à Bukavu en Session ordinaire du 22 au 28 mai 2023, avons fait le tour d’horizon de la situation socio-pastorale de notre pays en général et de notre province ecclésiastique en particulier. Tourmentées, depuis plus de trois décennies, par les guerres et les violences de toutes sortes ; les populations de nos six diocèses (Bukavu, Butembo-Beni, Goma, Kasongo, Kindu et Uvira), connaissent des situations de souffrance qu’ensemble nous voulons faire nôtres par ces paroles : « Je lève les yeux vers les montagnes : d’où le secours me viendra-t-il ?» (Ps 120,1). NOS JOIES ET NOS PEINES.
NOS JOIES ET NOS PEINES
- Nous nous réjouissons de la récente visite du Saint Père dans notre pays et remercions le gouvernement de la République pour la bonne organisation de son accueil, et le peuple congolais pour sa grande participation et sa discipline. A la Nonciature apostolique, le Saint Père s’est entretenu avec une cinquantaine de survivants de nos diocèses, qui lui en restent très reconnaissants. Nous saluons aussi, la ratification de l’Accord-cadre entre le Saint-Siège et la République Démocratique du Congo sur les matières d’intérêt commun qui augure une nouvelle ère d’une bonne collaboration entre l’Église catholique et l’État dans notre pays.
Nous louons en outre, l’enclenchement du processus électoral en préparation des élections générales que le peuple congolais appelle de tous ses vœux en les voulant libres, inclusives, transparentes et démocratiques dès le 23 décembre 2023. Nous apprécions également à leur juste mesure, certains projets réalisés par le Fonds Social de la République (FSRDC) et ceux à impact rapide et visible. Enfin, nous félicitons notre peuple pour sa détermination, sa résilience, sa solidarité et son soutien à nos FARDC, ainsi que son refus catégorique de la balkanisation. - Au-delà de ces quelques lueurs d’espoir, nous sommes cependant témoins de certaines situations déplorables et inquiétantes dans nos diocèses. Au Nord-Kivu, dans le diocèse de Butembo-Beni, la situation d’insécurité dramatique persiste. Les activités pastorales sont perturbées par l’activisme des ADF-NALU et certains autres groupes armés qui massacrent cruellement des paisibles citoyens, même non loin des positions des forces de sécurité qui sont censées les protéger.
Ainsi, les activités économiques sont paralysées à cause des attaques ciblées de moyens de transport sur les routes principales, ce qui est à l’origine de la destruction du tissu socio-économique et entraîne une misère indescriptible.
1 Au diocèse de Goma, la même situation d’insécurité ne fait qu’empirer malgré l’état de siège en vigueur depuis le 10 mai 2021, en dépit de la quarantaine de fois des prorogations qui n’ont jamais fait leur preuve. Les activités pastorales y sont mêmement perturbées à cause de la guerre déclenchée par le M23, laquelle affecte gravement le fonctionnement normal des écoles et entraîne une année blanche dans tout le Territoire de Rutshuru et une partie du Territoire de Masisi.
La même situation d’insécurité provoque un déplacement massif des populations dans des camps de fortune. Tout cela engendre une crise humanitaire sans précédent : famine, maladies, mort, etc. 4. Dans ce contexte flou et chaotique, nous constatons une forte militarisation de la Province du Nord-Kivu où, en plus des FARDC et des Wazalendo, foisonnent des forces de la MONUSCO présentes chez nous depuis plus de vingt ans, des forces opérant sous le label de l’East African Community (EAC), du M23 créé et soutenu par le Rwanda et l’Ouganda, des Wagner dont on ignore l’origine, etc.
Nous nous demandons dès lors, pourquoi l’État congolais continue à inviter des armées étrangères aux mandats inconnus et pourtant l’embargo qui empêchait le Gouvernement congolais de se procurer des armes pour assurer la sécurité du territoire et des habitants a déjà été levé par le Conseil de sécurité de l’ONU. Qu’est-ce qui explique qu’on continue à sous-traiter la question de la sécurité du territoire national ? - Dans les provinces du Maniema et du Sud-Kivu qui couvrent les diocèses de Bukavu, Kasongo, Kindu et Uvira, on constate un conflit sciemment entretenu et ouvert entre les gouvernements et les parlements provinciaux. Cette situation, qui crée le chaos dans l’administration au sommet de ces deux Provinces, s’aggrave par le fait des tireurs de ficelles se trouvant à Kinshasa, au sein des institutions de l’Etat.
- Au point de vue économique, nous ne cesserons jamais de le dénoncer, la misère a partout élu domicile, dans un pays potentiellement très riche et vanté à l’extérieur comme « pays solution », mais avec un peuple réellement misérable : les infrastructures routières sont délabrées, impraticables dans bien des cas ; ce qui condamne nos Provinces à l’enclavement, à l’insécurité, à l’isolement et à la paupérisation, au point que même les Chefs-lieux de nos diocèses ne sont plus reliés par route.
- Dans cette chaîne des malheurs, se sont invitées les catastrophes naturelles, exceptionnellement graves dans le Territoire de Kalehe au début du mois de mai 2023, où des milliers de personnes ont été emportées par les eaux des pluies diluviennes, des centaines ensevelies dans des coulées de boue laissant des rescapés et des victimes fortement sinistrées.
- Tout en appréciant à juste titre l’intervention rapide effectuée par le Gouvernement provincial du Sud-Kivu ainsi que le Gouvernement central, des Organisations humanitaires et des personnes de bonne volonté afin d’apaiser tant soit peu les détresses vécues dans les localités touchées, nous tenons à rappeler que « gouverner, c’est prévoir ». Aussi, au regard de l’ampleur de cette énième catastrophe naturelle, nous restons convaincus que si les services de l’État en charge des questions foncières et de gestion de l’environnement accomplissaient convenablement leur travail, sûrement que des vies humaines seraient épargnées et pareilles catastrophes auraient pu être évitées.
- En ce qui concerne l’opération d’enrôlement des électeurs, nous déplorons de nombreuses failles notamment : le matériel utilisé pour effectuer cette importante activité a montré ses limites, la qualité des cartes d’électeurs produites, l’insuffisance et la qualité de machines, la lenteur des agents, la clôture de l’enrôlement avant l’enregistrement de tous les électeurs… ; tout cela ne présage pas un bon aboutissement du processus électoral, sans compter le fait que l’opération d’enrôlement des électeurs n’a pas eu lieu dans les territoires de Rutshuru et une partie de Masisi sous occupation du M23. Une telle préparation des élections ne donne-t-elle pas raison à ceux qui avaient émis de sérieuses réserves aux candidatures présentées par le pouvoir pour présider aux destinées de la CENI ?
NOS SOUHAITS
Au regard de la situation critique qui perdure dans cette partie Est de la RDC, nous souhaitons :
- Que le Président de la République et Chef de l’État : Mette tout en œuvre pour libérer les territoires occupés par le M23, et résolve la question des armées étrangères, en sa qualité de garant de l’unité nationale et de l’intégrité territoriale ; Permette le bon déroulement du processus électoral libre, inclusif et transparent en cours dans notre pays. Cela suppose la libre expression de diverses opinions provenant de tous les acteurs politiques quelle que soit leur tendance. Libère un salaire juste pour sauver la gratuité de l’enseignement au primaire.
- Que les élus et tous ceux qui aspirent au poste de gouvernement Retiennent que la politique reste un service à la Nation et avant tout aux populations qui les ont mandatés ; cessent avec les comportements triomphalistes et dictatoriaux qui tendent à faire surface ; sachent que la légitimité ne s’acquiert ni par l’achat des voix des électeurs et de leur conscience, ni par des discours de haine contre des probables opposants mais qu’elle découle de la vie de ceux qui ont fait preuve du respect des valeurs citoyennes pour lesquelles le peuple les choisit ;
- Que le peuple congolais : Aille aux élections et se choisisse des dirigeants capables de le conduire vers des destinées meilleures ; Ne cède pas à toute forme de violence et de division mais reste uni et fasse ainsi échec à toute tentative de balkanisation de notre pays : le Congo n’est pas à vendre, il est un et indivisible, patrimoine commun du peuple congolais depuis son accession à la souveraineté nationale et internationale.
- Que les fidèles catholiques et les hommes de bonne volonté Gardent l’espérance et prient sans cesse afin que Dieu notre Père convertisse nos cœurs et nous dispose à nous libérer de cette situation pour participer activement et pleinement à la reconstruction de notre beau et grand pays, confiants que notre secours nous vient du Seigneur qui a fait le ciel et la terre (cf. Ps.124,8) 3
- Que la communauté internationale Entende et comprenne l’appel du Pape François lors de sa visite chez nous : « retirez vos mains de la République Démocratique du Congo, retirez vos mains de l’Afrique ! Cessez d’étouffer l’Afrique : elle n’est pas une mine à exploiter ni une terre à dévaliser »
1 CONCLUSION- Que par l’intercession de la Vierge Marie, Reine de la paix, Patronne de notre pays et les grâces du troisième Congrès Eucharistique National que nous célébrons bientôt à Lubumbashi, nous obtenions des plus puissants secours : Prenez courage, j’ai vaincu le monde (cf. Jn 16,3). Donné à Bukavu, en la Solennité de la Pentecôte 2023.
Ce message est signé par Messeigneurs
François Xavier Maroy, archevêque de Bukavu et président de l’ASSEPB, Melchisédech Sikuli, évêque de Butembo-Beni, Willy Ngumbi, évêque de Goma, Placide Lubamba, évêque de Kasongo, François Abeli, eveque de Kindu et en fin Sébastien-Joseph Muyengo, eveque d’Uvira.
Pascal Ngaboyeka