Très Saint Père, Moi je m’appelle Aimée et je parle au nom d’Emelda M’KARHUNGULU, originaire de Bugobe, Groupement Cirunga, Paroisse de Kabare, dans l’Archidiocèse de Bukavu, au sud-ouest de cette grande ville. Emelda est à côté de moi mais ne parle pas français. Je vais lire la traduction française de son témoignage en swahili.
«Des rebelles avaient fait incursion dans notre village de Bugobe; c’était la nuit d’un vendredi, en 2005. Ils ont fait incursion dans le village, prenant en otage tous ceux qu’ils ont pu, déportant tous ceux qu’ils avaient trouvé, leur faisant porter les objets qu’ils avaient pillé. En route, ils ont tué beaucoup d’hommes par balles ou au couteau. Les femmes ils les emportèrent dans le parc de Kahuzi-Biega. J’avais alors 16 ans. J’ai été retenue comme esclave sexuelle et j’ai subi des maltraitances pendant trois mois. Chaque jour, c’est cinq à dix hommes qui abusaient de chacune de nous. Ils nous faisaient manger la pâte de maïs et la viande des hommes tués. De fois, ils mélangeaient les têtes des gens dans la viande des animaux. C’était ça notre nourriture de chaque jour. Qui refusait de le manger, on le découpait et on nous le faisait manger. Nous vivions nues pour ne pas nous échapper. Je suis de ceux qui leur ont obéi jusqu’au jour où, par grâce, je me suis échappée lorsqu’ils nous envoyèrent puiser de l’eau à la rivière. Arrivée à la maison, mes parents m’ont conduite à l’hôpital de Panzi en passant par le centre Olame où j’ai suivi des soins appropriés. Par l’animation de l’Église j’ai dû assumer et accepter ma situation. Aussi, les personnes qui avaient un regard moqueur sur moi ont changé. Aujourd’hui je vis bien en femme épanouie qui assume son passé.
Notre Province est un lieu des souffrances et de larmes. Que dire, Saint-Père, des victimes de la catastrophe de Mulongwe qui ont tout perdu dans les érosions sauvages: maison, et tous les objets de la maison. Beaucoup sont morts. La catastrophe des inondations des rivières de Mulongwe et Kavimvira, dans le diocèse d’Uvira du 17 au 20 avril 2020 s’élèvent à 60 personnes enterrées sous la boue des inondations, 45 personnes blessées, 3500 maisons détruites, 7700 ménages sans abris. Les survivants croupissent dans des camps des sinistrés où ils partagent la bâche à 3 ou 4 ménages, c’est-à-dire plusieurs dizaines de personnes, dans la même tente. C’est vraiment la promiscuité. C’est vraiment le siège de l’immoralité. La prostitution bat le plein dans ces cadres de vie. Ils n’ont même pas de conditions humaines minimales.
A cause des guerres interethniques dans les plateaux, depuis 2019, dans les Hauts plateaux des Territoires de Fizi, Mwenga/Itombwe et Uvira, plus de 346.000 personnes sont déplacées, dont 100.000 dans le territoire d’Uvira et 246.000 personnes dans le Territoire de Fizi. Beaucoup ont tout abandonné. Tout le plateau a été abandonné aux hommes armés. Beaucoup sont morts, d’autres ont fui, ne sachant même pas où trouver les leurs.
Saint-Père, c’est avec une joie immense que nous, victimes des atrocités et autres catastrophes, prenons la parole pour vous présenter notre sincère reconnaissance et nos remerciements pour avoir effectué le voyage vers nous malgré vos multiples charges. Vous nous laissez un legs, un don d’amour par ce rapprochement, par cette visite.
Nous mettons sous la croix du Christ ces habits des hommes en armes qui nous font encore peur, pour nous avoir infligé d’innombrables violences, atroces et innommables, qui continuent jusqu’à ce jour. Nous désirons un avenir différent. Nous voulons laisser derrière nous ce passé obscur et être en conditions de bâtir un bel avenir. Nous demandons la Justice et la Paix.
Nous pardonnons à nos bourreaux tout ce qu’ils ont fait et nous demandons au Seigneur la grâce d’une cohabitation pacifique, humaine et fraternelle.
Merci Saint-Père d’être venu.